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La théologie d’Aristote comme finalisation dans la perspective physique

ks. Roman Piwowarczyk
Wyższe Seminarium Duchowne
Łódź

1. Introduction

La théologie du Stagirite finalise toute sa recherche philosophique. Autrement dit, Aristote, en tant que philosophe, arrive à réaliser son objectif: découvrir, et, à la mesure de ses possibilités, connaître par les différentes sciences, la cause ultime de l’ensemble de la réalité, la substance la plus parfaite, celle qui reçoit le nom de Dieu.

Cette finalisation se réalise chez lui dans les trois perspectives, la physique, la noétique et la métaphysique. Même si il ne reconnaît pas sa noétique comme une science philosophique, nous sommes persuadé que cette science est tout à fait essentielle à sa théologie. D’ailleurs, il le montre plusieurs fois. Il serait dommage de se rendre compte que Dieu est Pensée de la pensée et que l’homme est incapable de le connaître et de l’imiter. D’autre part, la noétique fait que l’ontologie, la science de l’être en tant qu’étant, est plus réaliste, et que par conséquent, toute sa théologie l’est aussi. Ces trois perspectives s’entremêlent et se complètent. Leur objectif principal commun se focalise finalement dans le noyau le plus profond de l’homme, le nous: il consiste à découvrir comment toute sa nature s’ouvre à Dieu et à trouver le bonheur réel, parfait et éternel pour l’homme. But qui dépasse l’homme.

La succession de ces perspectives n’a pas été établie par hasard. Dans cett article nous voudrions commencer par l’analyse de la physique. La perspective noétique se trouve en position médiane, pour marquer la particularité de l’être humain parmi tous les êtres. Cette position signifie également l’importance de la physique et de l’ontologie dans la quête du sens de l’existence de l’homme et du monde. Elle nous permet, de même, de souligner que la noétique se présente comme plus proche de nous que la perspective métaphysique, et que cette dernière, la surpasse en profondeur et en largeur de vue.

En matière d’introduction à ce point, il faut souligner que la physique d’Aristote, constitue avec la mathématique et la philosophie première, la philosophie théorétique. (Métaphysique E 1)

La physique donc, se situe au plus haut niveau de la connaissance philosophique, alors que de nos jours elle n’appartient plus à la philosophie.

Pour préciser comment la théorie du Premier Moteur finalise les recherches physiques d’Aristote, il est important de rappeler d’abord comment Aristote sépare la physique de la métaphysique[1]. La physique qui „étudie les accidents et les principes des êtres en tant que mus”[2], doit s’efforcer de définir ce qui concerne les principes[3] de la réalité en mouvement, réalité dont les formes sont dans la matière.

Selon Aristote, le philosophe est capable, par son intelligence, de pénétrer le monde matériel jusqu’à ce niveau où il doit constater la nécessité de l’existence du Premier Moteur. Il faut admirer sa confiance en l’intelligence humaine qui ne doit ni se perdre, ni „se salir”, ni se déformer au contact du monde matériel et ses relativités. Au contraire, ce contact est bénéfique, il lui assure les valeurs essentielles de la science, à savoir l’objectivité et le réalisme[4].

Il est évident que, pour Aristote, l’aventure avec le monde matériel était loin d’être facile. Sa physique est marquée de tensions et de difficultés. Il nous montre très bien qu’il n’est pas simple d’établir une unité entre ses intuitions et ses axiomes admis, les vérités philosophiques et les règles du monde matériel. On pourrait dire que selon lui, le philosophe avant de pouvoir „ouvrir ses ailes” pour s’envoler vers le monde immatériel, doit d’abord apprendre à marcher sur terre tout en prévoyant qu’il ne peut subsister dans l’air indéfiniment – ses racines se trouvant dans le monde matériel. La matérialité de l’objet de la physique constitue la spécificité de cette perspective et introduit certaines limites de cette science. C’est pourquoi Aristote précise, dans sa Physique, que tout ce qui concerne la manière d’être et l’essence du Premier Moteur séparé est déjà „l’œuvre de la philosophie première”[5]. La finalisation théologique dans la physique n’est pas la plus profonde.

Les raisonnements les plus élevées en physique se concentrent autour de la question de la nécessité de l’existence de la cause ultime du mouvement, et donc de la question concernant l’origine du monde matériel. La démonstration de la nécessité de l’existence du Premier Moteur, pour que le monde matériel soit compréhensible, a été développée par Aristote dans les livres VII et VIII de sa Physique.

2. La finalisation théologique dans la physique VII et VIII

La démonstration de l’existence du Premier Moteur dans le livre VII est moins profonde et moins précise que celle du livre VIII. On voit ici encore bien des tensions entre le désir de connaître les caractéristiques du mouvement et le désir de connaître les causes ultimes du mouvement. Autrement dit, se posent des questions propres à la physique telle qu’elle existe aujourd’hui et celles de la physique en tant que science philosophique (des questions du type „comment” et „pourquoi”).

Au début de ce livre Aristote introduit deux axiomes: 1) „Tout mû est nécessairement mû par quelque chose”[6] et 2) „puisque tout mû est nécessairement mû par quelque chose [...], il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui soit le Premier Moteur, c’est-à-dire que cela n’aille pas indéfiniment”[7].

Le premier axiome <tout mû est mû par quelque chose>, qui est au niveau des questions sur le „comment” concerne tout ce qui est mû dans sa diversité. Aristote y distingue, alors, trois sortes de mouvement: selon le lieu, selon la qualité et selon la quantité. Par conséquent, il y a aussi trois sortes de moteurs, le transportant, l’altérant, l’augmentant ou le diminuant[8].

Le mouvement selon le lieu est le premier des mouvements, le plus populaire. Le mouvement selon la qualité a lieu dans les sensibles et dans la partie sensible de l’âme (les états de l’âme ou du corps ne sont pas des altérations).

Il est nécessaire qu’entre le moteur et le mû il y ait un contact direct. Et ce contact direct existe dans tous les trois genres de mouvement. La diversité du mouvement en fait l’unité; elle a des dimensions infinies parce que „les moteurs et les mû sont en nombre infini”. Dans cette perspective infinie, on ne pourrait jamais constater la nécessité de l’existence du Premier Moteur, ni connaître quoi que se soit. Tous les efforts pourraient se disperser dans l’infinitude et la relativité. Le moteur ou le Premier Moteur qui est la source du mouvement éternel d’une chose ne s’identifie pas avec le moteur premier, source de tout mouvement. C’est pourquoi Aristote souligne par deux fois au début même de ce chapitre qu’il faut savoir s’arrêter, qu’on ne peut pas aller à l’infini. Cette conviction et ce désir impliquent un changement radical de tout et il faut admettre l’existence du Premier Moteur, c’est-à-dire, l’être qui n’est pas mû par quelque chose.

Les deux axiomes proposés, à la base des idées, ne sont pas dus à un raisonnement par induction[9]. La raison suggère ici la solution sous la forme d’une hypothèse. Si quelqu’un veut connaître les causes ultimes, il doit admettre l’existence du Premier Moteur. Néanmoins, dans le livre VII, Aristote ne précise pas encore que ce moteur doit être immobile. Toutefois, le Premier Moteur ne peut pas être à la fin de la série des êtres mus. Il leur est tout à fait différent. Le Premier Moteur est premier parce qu’il n’est pas mû. Deuxièmement, le Premier Moteur ne peut pas être placé à la fin de la série des êtres parce que cette fin n’existe pas, „les moteurs et les mus sont en nombre infini”, et le mouvement total est aussi infini. On voit ici que le raisonnement d’Aristote est philosophique. Ce n’est pas un raisonnement du type”comment”, mais la recherche des causes ultimes qui l’oblige à aller au-delà de êtres mus. Où faut-il donc s’arrêter? Ce ne sera pas au niveau des dimensions du monde, mais au niveau des causes. L’infinitude du monde n’explique pas son origine ni l’origine du mouvement. Si le nombre des causes était infini, le monde serait pour nous totalement incompréhensible.

Dans le livre VIII de sa Physique, on trouve le même raisonnement que dans la Physique VII, mais élargi, approfondi et plus original. Néanmoins, ce raisonnement reste bien lié à la structure du monde matériel et à la théorie du Kosmos de son époque.

Dans la première partie de ce livre, Aristote présente les éléments du mouvement de tout ce qui est mû. On peut distinguer deux directions dans ses raisonnements:

1) Le mouvement pris globalement est éternel,

2) Toute la richesse du mouvement montre la nécessité du Premier Moteur.

Appuyé sur la pensée de ses prédécesseurs, Aristote est persuadé qu’il est tout à fait normal que le mouvement soit éternel. Il ne peut pas imaginer les choses sans mouvement. „Si, par contre, des étants ont préexisté depuis toujours alors qu’il n’y avait pas de mouvement, cela paraît illogique à qui considère immédiatement les choses”[10]. Cependant quels sont les arguments qui confirment l’éternité du mouvement?

a) Il y a le rapport essentiel entre le mouvement et le temps, le mouvement existe dans le temps parce que „Il n y a eu et il n’y aura aucun temps dans lequel il n’y a pas eu ou il n’y aura pas de mouvement”[11].

b) Le temps est aussi éternel. Quels sont ses arguments pour l’éternité du temps? Premièrement, tous les philosophes le confirment (sauf Platon). Deuxièmement, le temps ne peut pas être pensé sans le „maintenant”. Et le „maintenant” est une „sorte de médiété” entre le début du temps futur et la fin du temps passé. Il est donc nécessaire que le temps existe éternellement[12]. L’éternité du temps confirme, encore une fois, l’éternité du mouvement puisque le temps est „une certaine affection du mouvement”[13].

c) Le mouvement est éternel et indestructible parce que chaque mouvement doit avoir un mouvement antérieur et postérieur[14]. Dans ce raisonnement, Aristote ne manque pas de prendre en considération chaque genre de mouvement.

d) L’éternité du mouvement est directement liée à l’éternité de la matière.

Puis, Aristote entre dans les détails du monde matériel qui est en mouvement éternel. Il constate qu’il est impossible que toutes les choses soient toujours en mouvement ou qu’elles soient toujours en repos. L’expérience confirme qu’une même chose peut être une fois en mouvement, et une autre fois en repos. Il veut savoir aussi si tous les êtres sont capables d’être en repos et en mouvement, ou bien si ce n’est possible que pour certains, tandis que d’autres seraient toujours en mouvement ou en repos. Ces questions le mènent à constater qu’on peut distinguer les êtres qui meuvent et qui sont mus par accident et ceux qui le sont par eux-mêmes. Dans les mouvements des êtres qui meuvent et qui sont mus, il y a des mouvements selon la nature d’un être en mouvement et d’autres qui sont contre leur nature. Pour conclure sur cette question des distinctions, il faut constater, qu’il y a trois groupes d’êtres: 1) les êtres qui sont toujours ou en mouvement ou en repos (le monde sublunaire), 2) les êtres qui sont toujours en mouvement, les astres (le monde supralunaire), 3) et des êtres (un être) toujours en repos.

Parmi les êtres du premier groupe, il y a ceux qui se meuvent par eux-mêmes et ceux qui sont mus. Mais, les êtres qui se meuvent eux-mêmes ne sont pas tout à fait indépendants en ce qui concerne l’origine de leur mouvement. Par exemple le mouvement d’un animal dépend de lui-même, mais son mouvement est transmis avec la vie qui provient de ses parents, et il dépend aussi durant toute sa vie de la nourriture, du climat, etc. On découvre donc une chaîne de causes qui conditionnent le mouvement; cependant il en est une chaîne qui doit être limitée. Cela confirme, encore une fois et plus pleinement, le premier axiome du livre VII, que tout ce qui est mû est mû par quelque chose et aussi le deuxième qu’on ne peut pas aller à l’infini, ce dernier étant présent dans ce livre plusieurs fois.

Il est alors nécessaire qu’il existe un être (ou des êtres) qui se meut lui-même (qui se meuvent eux mêmes). Parce que le mouvement est éternel, il en découle que l’être qui se meut lui-même doit le faire éternellement. Cet être (ou ces êtres, les astres) appartiennent au deuxième groupe.

Mais, est-il possible qu’il soit un être qui se meuve par lui-même éternellement? Autrement dit, est-ce que les astres sont les êtres les plus parfaits ? Si oui, cela veut dire que leur mouvement éternel est à l’origine de tout. La réponse d’Aristote par la négative est claire. Et il la prouve par plusieurs arguments:

1) Le mouvement est l’entéléchie (l’acte) inachevée du mobile. Le mouvement n’exprime pas l’état le plus parfait de l’être. Par le mouvement l’être s’actualise. Il s’ensuit que l’être qui se meut éternellement n’est pas le plus parfait ni ne peut être l’être premier.

2) ”Il est impossible que ce qui se meut soi-même se meut soi-même intégralement; en effet en totalité il serait transporté et transporterait selon le même transport, étant un et indivisible spécifiquement, et il serait altéré et altérerait de sorte qu’il enseignerait et apprendrait en même temps”[15].

3) Il n’est pas possible non plus que l’être se meut soi-même de sorte qu’une de ses parties meuve l’autre. „Rien ne sera Premier Moteur si chaque partie se meut elle-même”.

4) Il n’est pas possible que la totalité de l’être qui se meut soi-même soit mû par une de ses parties puisque dans ce cas cette partie serait le Premier Moteur pour la totalité.

5) Il n’est pas possible que la totalité de l’être se meuve en totalité parce que dans ce cas ses parties se mouvraient par accident.

Ainsi donc les analyses du premier et du deuxième groupe des êtres en mouvement doivent s’additionner pour que Aristote puisse proclamer sans hésitation que le Premier Moteur de tous les mouvements doit être nécessairement immobile.

„Il est donc manifeste à partir de cela que le moteur non mû à titre premier existe. En effet, soit <la série> des mus, et mus par quelque chose, s’arrête immédiatement à quelque chose de premier non mû, soit elle s’arrête à quelque chose qui est mû, mais qui se meut et qui s’arrête lui-même; dans les deux cas il se trouve que le Premier Moteur pour tous les mus est non mû”[16].

La démonstration que le Premier Moteur est immobile et que directement ou indirectement il meut tous les êtres en mouvement, a introduit plusieurs conséquences et des changements dans l’ordre de la physique:

1) Parce qu’il est immobile, il est hors du physique.

2) Parce qu’il est immobile, ni sa substance, ni ses accidents ne changent, il est toujours le même, sans accidents.

3) S’il est immobile, le temps n’existe pas pour lui, il est hors du temps.

4) Le Premier Moteur est immatériel, indivisible et sans parties. „S’il a une grandeur, il est nécessaire qu’il soit fini ou qu’il soit infini. Qu’une grandeur ne puisse pas être infinie, cela a été montré plus haut dans la Physique ; mais, d’un autre côté, qu’il soit impossible que ce qui est fini ait une puissance infinie, et qu’il soit impossible que quelque chose soit mû par quelque chose de fini dans le temps infini, on vient de le montrer”[17].

5) Le Premier Moteur est un. Plusieurs arguments le confirment:

a) Le mouvement étant éternel, cela prouve que le mouvement est continu et un. Si le mouvement est un et éternel, c’est parce que le Premier Moteur est un.

b) Le fait que le Premier Moteur soit un et immobile fait que le monde est un et qu’il se transforme. Pourtant dans ces transformations et développements, il garde ses frontières et demeure dans le même état. „Il est dès lors évident que même si certains principes immobiles mais aussi moteurs, et beaucoup parmi les choses se mouvant elles-mêmes, sont détruits une myriade de fois, alors que d’autres sont engendrés, et que tel <moteur> non mû meut cette chose, et tel autre cette autre chose, il n’en existe pas moins quelque chose qui enveloppe <tout cela>, et cela est distinct de chacune de ces choses, qui est cause du fait que les uns sont et les autres ne sont pas, et <cause du changement continu”[18].

Dans le traité Du Ciel I 9, Aristote exprime sa conviction que le monde pris comme un tout est un être parfait et que parce qu’il est constitué de la totalité de la matière, il est nécessairement un[19].

c) Enfin le Premier Moteur étant un, assure l’unité de tout ce qui est mû. „En effet, si le principe demeure, il est nécessaire que le tout lui aussi demeure étant continu par rapport au principe”[20].

6) L’éternité du mouvement du monde supralunaire, qui est composé du Ciel des étoiles fixes et des Sphères des différentes planètes, est assurée par le Premier Moteur. „Mais, assurément, si quelque chose de tel existe toujours, un moteur lui-même immobile et éternel, il est nécessaire que la première chose mue par lui soit aussi éternelle”[21]. Par contre, dans le monde sublunaire qui s’étend entre la terre et la lune, et qui est mû par le monde supralunaire, existent les changements et les mouvements inférieurs, rectilignes.

7) En ce qui concerne les mouvements, Aristote établit la hiérarchie suivante: Le premier être immobile n’est que la source du mouvement; il meut constamment des êtres qui sont toujours en mouvement et dont le mouvement est circulaire; puis, il y a les êtres dont le mouvement n’est pas éternel non plus que l’existence parce que leur mouvement n’est pas circulaire étant rectiligne ou mixte.

8) Les arguments précédents nous montrent bien que le Premier Moteur ne peut pas être identifié à l’âme du Ciel ou à un être céleste. Premièrement, comme le dit J. Paulus, la substance céleste est „naturellement disposée à la translation circulaire” et le Premier Moteur n’impose pas à cette substance un mouvement contraire à sa nature[22]. Les êtres célestes se meuvent eux-mêmes naturellement. Quant au Premier Moteur immobile, son immuabilité est plus parfaite que l’éternité du mouvement des êtres célestes. Parce qu’il est immatériel et hors du temps, il est impossible de le localiser. Les réalités qui vivent en dehors du ciel, nous dit Aristote, „sont inaltérables et impassibles, poursuivant une vie qui est parfaite et se suffisent à elles-mêmes, durant toute l’éternité”[23].

3. Remarques et discussions

En considérant la physique d’Aristote à travers le prisme de la philosophie et des sciences empiriques d’aujourd’hui, il nous est relativement facile de trouver certains endroits dans ses textes qui ne sont pas faciles à comprendre. On peut même dire que certains de ses raisonnements ont même déformé toute une partie de sa théorie. Voici quelques exemples avec leurs conséquences et aussi notre tentative à les comprendre:

1) On ne peut pas accepter l’argument qu’Aristote utilise pour prouver l’éternité du temps:

Parce qu’on ne peut pas penser le temps sans «le maintenant», et que le «maintenant» est une sorte de médiété puisqu’il renferme ensemble le début du temps futur et la fin du temps passé, il est nécessaire que le temps soit éternel.

(voir: le Physique 251 b, 25-26.) Or, aujourd’hui, nous le savons, le temps n’a pas d’existence autonome, il n’est pas composé de parties et il est essentiellement „uni” au mouvement. On ne mesure pas le temps comme tel, on mesure le temps du mouvement. Le temps „apparaît” avec le mouvement et il est mesuré par le mouvement, ou plutôt c’est le mouvement conventionnellement mesuré qui mesure un autre mouvement. La finitude du temps ne nous surprend pas.

2) Quant à l’éternité du mouvement, Aristote l’affirme en utilisant, entre autres, le même raisonnement qu’il a utilisé pour montrer l’éternité du temps. Il la confirme à plusieurs reprises[24]. 3) Par conséquent, avec l’éternité du mouvement Aristote proclame aussi l’éternité du monde.

Mais on s’aperçoit que s’élève malgré tout une difficulté, à savoir: comment comprendre cette éternité? Comment admettre que le ciel qui meut éternellement a besoin du Premier Moteur? Pour élargir la discussion, nous pouvons ajouter ici quelques passages de la Métaphysique, Θ 8 1050 b, 23-28:

„C’est pourquoi le Soleil, les astres, le ciel tout entier sont toujours en acte, et il n’y a pas à redouter qu’ils s’arrêtent jamais, comme le craignent les physiciens. Ces êtres ne se lassent point dans leur cours, car le mouvement n’est pas pour eux, comme pour les êtres corruptibles, puissance de contradictoires, ce qui a pour effet de rendre laborieuse à ces derniers la continuité du mouvement, la cause de cette fatigue étant due à ce que la substance des êtres corruptibles est matière et puissance, et non-acte”[25].

En comparant les êtres du Ciel et les êtres corruptibles, nous voyons que les premiers sont aussi matériels. Les êtres célestes „ne se fatiguent pas” à cause d’une seule différence: leur mouvement est en acte. Cependant l’explication n’est pas simple et le problème subsiste. On ne peut pas admettre que cet acte du mouvement est absolu. On a déjà montré pourquoi le mouvement est le signe d’une imperfection. Si ce n’était pas le cas, ils n’auraient pas eu besoin du Premier Moteur. Nous avons déjà montré que l’explication que c’est l’âme qui meut le monde céleste éternellement, n’est pas acceptable et qu’Aristote n’admet aucun intermédiaire entre le Ciel et le Premier Moteur. L’idée que les êtres célestes existent éternellement, et que <en même temps>, leur existence dépend essentiellement du Premier Moteur est aussi irrecevable. Pourquoi, dans ce cas, faudrait-il dire que le moteur immatériel soit premier?

La même construction de raisonnement se trouve dans le traité Du Ciel où Aristote donne plusieurs arguments pour montrer que le mouvement éternel ne peut pas être engendré et corruptible. Par exemple, „Ce qui existe toujours n’a pas la possibilité, à un moment donné, de ne pas être, il n’a pas non plus la possibilité d’être engendré”[26], mais il reconnaît que le Premier Moteur qui est incorporel et immobile est supérieur. Il doit posséder, „a bien plus de titres”, les caractéristiques propres aux êtres célestes[27].

4) Nous constatons alors que le problème concernant la divinité du Ciel et l’éternité du Premier Moteur reste toujours aussi indécidable. Aristote d’ailleurs n’arrivera pas à le résoudre.

En nous appuyant sur les raisonnements utilisés dans la Physique VIII, et dans la Métaphysique, nous pouvons conclure que l’éternité du mouvement est relative par rapport au Premier Moteur, source ultime de chaque mouvement. On peut donc admettre ici les trois solutions possibles dont Aristote ne parle pas d’ailleurs:

a) Le monde céleste qui est en mouvement est éternel, cela veut dire qu’il a un commencement, mais qu’il est sans fin. Cette solution nous paraît impossible et peu cohérente. Dans le traité Du Ciel, Aristote dit que „ce qui existe toujours n’a pas la possibilité à un moment donné, de ne pas être, il n’a pas non plus la possibilité d’être engendré” (282 a, 3-4).

b) Le Premier Moteur qui est éternel, meut le monde matériel sans commencement (lui-même et le mouvement sont éternels). Cependant, dans ce cas, il est impossible de constater la supériorité absolue du Premier Moteur.

c) Le Premier Moteur meut le monde matériel sans commencement, il est éternel et le mouvement est éternel. Cependant, l’éternité du mouvement n’empêche pas de soutenir la supériorité du Premier Moteur. On peut admettre qu’il est vraiment premier, mais sa primauté n’est pas exprimé dans des catégories temporelles. Il est hors du temps, et le monde céleste, même s’il est matériel, l’„accompagne” depuis toujours pour manifester la perfection et primauté de celui dont il dépend. Le Ciel serait donc placé entre l’éternité absolue du Premier Moteur et la temporalité du monde sub-lunaire. Il nous semble que cette option pourrait être adoptée comme la plus compatible avec l’ensemble de sa pensée théologique en physique. Voici les arguments qui pourraient étayer cette conviction:

- Il y a une dépendance ontologique entre le Premier Moteur et le monde en mouvement. C’est à cette réalité que sont suspendus „dans les autres êtres, pour les uns avec plus d’exactitude, pour les autres d’une façon confuse, l’être et la vie”[28].

- Aristote fait la distinction entre l’éternité du mouvement éternel, et l’éternité propre au Premier Moteur: „Et ce mot éternité possédait, en effet, une signification divine chez les Anciens: l’accomplissement qui enveloppe la période de la vie de chaque être, et en dehors de laquelle il n’existe aucun développement naturel, a été appelé son éternité. C’est suivant la même raison que l’accomplissement du Ciel tout entier, l’accomplissement qui enveloppe la totalité du temps et l’infinité, est l’éternité – désignation dérivée de ce qui existe toujours – éternité qui est immortelle et divine”[29]. Par contre l’éternité du Premier Moteur est difficilement descriptible. On est obligé de s’arrêter devant <le moteur> qui est inaltérable et impassible, et reconnaître qu’il dépasse aussi notre intelligence.

- Il nous montre, enfin, la distinction métaphysique, très claire, entre l’être en acte et l’être qui est acte pur: „ Et puisque ce qui est à la fois mobile et moteur n’est qu’un terme intermédiaire, on doit supposer un extrême qui soit moteur sans être mobile, être éternel, substance et acte pur”[30].

- Cette solution devient encore plus probable lorsque nous constatons que l’argument d’Aristote sur l’éternité du temps peut être valable seulement dans le monde supralunaire.

Il faut ajouter aussi que cette troisième option est différente de celle qui admet la création, solution propre à la pensée catholique. Néanmoins, elle ne s’y oppose pas. Reste pour nous la difficulté d’entrer dans les „règles” du monde éternel. Notre manière de penser est tellement déterminée et circonscrite par la temporalité que tout ce qui dépasse les règles du temps nous paraît éloigné et étrange.

Voici l’exemple de M. Krąpiec qui confirme cette attitude. Après avoir constaté que dans la pensée d’Aristote il n’y a pas de place pour la création (le monde et le mouvement sont éternels), il tire la conclusion que parce qu’il prend cette option, Aristote n’est pas capable d’entrer dans le problème de l’existence de l’être. Selon lui, c’est st Thomas d’Aquin qui l’a fait pour la première fois[31]. Quant à nous, il nous semble que nous pourrons admettre un autre genre de création, la création éternelle. Il est certain qu’il est difficile d’imaginer, mais non pas impossible de le faire; une création qui existe depuis toujours et dans laquelle il y a place pour la dimension existentielle de l’être.

5) Voici une autre remarque. Même si dans la Physique Aristote parle du mouvement au sens métaphysique, comme actualisation de l’être, nous pouvons faire l’objection que l’analyse du mouvement physique a trop dominé les raisonnements concernant les autres actualisations.

6) On ne peut accepter aujourd’hui la théorie du Kosmos utilisée par Aristote à la suite de Callippe et d’Euxode. Cependant, même si on a fait de grand progrès dans la découverte du ciel, il n’existe toujours que des hypothèses sur l’origine du Kosmos, l’infinitude de l’Univers ou l’origine du mouvement dans le Kosmos. Il faut aussi dire qu’Aristote a eu une certaine intuition en ce qui concerne la structure du Kosmos, qui ne se rattachait pas aux théories du Kosmos de Callippe et d’Euxode, mais plutôt à sa propre pensée philosophique: „Et cependant, les astres, même si nous ne les avions jamais vu n’en seraient pas moins, je pense, des substances éternelles, distinctes de celles que nous connaissons. Il en résulte que, dans le cas présent aussi, même si nous ne savons pas quelles substances non-sensibles existent, peut-être est-il du moins nécessaire d’admettre qu’il en existe”[32].

4. Conclusion

Pour conclure la question de la finalisation théologique en physique chez Aristote, il faut constater que Aristote en physique s’est efforcé de montrer que „un <moteur> unique sera suffisant”, et qu’aux réalités naturelles appartiennent plutôt le fini et le meilleur. Pour exposer le mieux possible ses arguments, il utilise ces deux axiomes: 1) <Tout ce qui est mû est mû par quelque chose d’autre> et 2) <dans la recherche des causes ultimes on ne peut pas aller à l’infini>. On les trouve dans les livres VII et VIII, et ce sont eux qui désignent les lignes d’investigation d’Aristote. On constate facilement que l’être découvert, le Premier Moteur, ne peut pas être présent dans le domaine de la physique. On a l’impression que pour cet être qui est vivant (Du Ciel I, 9), et qui en tant qu’immobile meut tout, le nom de <Premier Moteur> ne convient pas très bien. Nous voyons facilement que le ciel qui meut éternellement n’a pas besoin de moteur au sens physique. C’est déjà ici, (Physique, V), qu’Aristote se solidarise avec Anaxagore pour confirmer que c’est l’Esprit sans mélange et immobile qui pourrait mouvoir et dominer. Cette idée apparaît à la fin des analyses de chaque genre de mouvement pour constater que l’être immobile, immatériel, donc spirituel, est à l’origine de tout ce qui meut, tout ce qui est matériel et temporel.

Par analogie, on pourrait dire qu’une situation semblable a lieu dans la vie humaine. Il suffit de réfléchir un peu pour se rendre compte que la majorité des mouvements autour de nous sont initiés, dirigés ou finalisés par notre activité intellectuelle.

Nous constatons que même si l’objet de la physique d’Aristote est différent de l’objet de la noétique, les dernières conclusions physiques s’orientent vers les réalités spirituelles.

Teologia Arystotelesa jako punkt dojścia
w perspektywie fizycznej

Streszczenie

Poszukiwanie Bytu Najdoskonalszego, Pełni Aktu, Myśli myśli czy po prostu Boga przybiera u Stagiryty co najmniej trzy różne formy. Stara się on wskazać na jego obecność poprzez filozoficzne analizy w perspektywie fizycznej, noetycznej i metafizycznej. W niniejszym artykule autor stara się przedstawić poszczególne elementy perspektywy fizycznej jako jednej z trzech perspektyw filozofii teoretycznej, w której Arystoteles wskazuje na konieczność istnienia Boga. Przybiera on w tej perspektywie imię Pierwszego Poruszyciela. Aby osiągnąć ten cel, analizuje on złożoność wszelkiego ruchu w świecie materialnym i opiera się na dwóch zasadach: 1) każdy poruszający się byt jest poruszany przez inny byt; 2) poszukując ostatecznej przyczyny ruchu nie można cofać się w nieskończoność.

Słowa kluczowe: filozofia, metafizyka, teologia naturalna, argumenty na istnienie Boga


283 Sur la spécificité de la physique et sa différence avec la métaphysique voir p. 70-77.

[2] Mét., K 4, 1061 a 29-31.

[3] Physique I, 184 a 10-16.

[4] M.D. Philippe se solidarisant avec Aristote constate que, pour l’intelligence moderne, il est très difficile de garder cette confiance en l’intelligence. Par exemple „Descartes ayant jeté le doute sur toute l’expérience impliquant les sensibles propres, pour se réfugier dans la connaissance des sensibles communs. De même, Luther (et avant lui Ockham), ayant mis un soupçon sur la capacité même de notre intelligence d’atteindre la vérité a conduit la philosophie à un primat de la critique sur le contact direct de l’intelligence avec la réalité existante; la philosophie demeure alors au niveau d’une réflexion sur l’intentionnalité de la connaissance”. Introduction…, op.cit. p. 25-26. Voir aussi sur la question M.A. Krąpiec: Poznawać i myśleć, KUL, Lublin, 1994, au chapitre IV: „Les fondements de la connaissance rationnelle, les principes premiers”. Pour lui, les principes caractérisés sont: le principe d’identité, de contradiction et de tiers exclus. Ces trois principes désignent les rapports entre le pensée et la réalité existante. M.A. Krąpiec le précise ainsi: „C’est pour cette raison que seul l’être existe, parce que le non-être n’est que la négation intellectuel de l’être” (p. 279, ma propre traduction).

[5] Ibid., II, 194 b 9-15.

[6] Ibid., VII, 241 b 34.

[7] Ibid., 242 a 50-55.

[8] Ibid., 243 a 35-40.

[9] Voici la difficulté devant laquelle se trouve Aristote: „Si donc le <mû> composé de ABΓΔ est quelque chose d’infini, il sera mû selon le mouvement EZHΘ dans le temps K, lequel est fini, il s’en suit qu’en un temps fini quelque chose de fini ou d’infini traverse l’infini”. Physique VII, 242 b 68-71.

[10] Ibid., VIII 1, 251 a 21-22.

[11] Ibid., 252 b 6-7.

[12] Voir: Ibid., 251 b, 19-28.

[13] Voir aussi: Mét., L 6,1071 b 7-10.

[14] Voir: Ibid., 251 b, 29-35.

[15] Ibid., 257 b, 2-6.

[16] Ibid., 258 b, 4-9. L’annonce de cette solution se trouve dans la Physique, 256 b 22-24: „Or puisque nous voyons le dernier <terme>, qui peut être mû mais ne possède pas de principe de mouvement, et ce qui est mû par autre chose et non par soi même, il est rationnel, pour ne pas dire nécessaire, que le troisième terme soit ce qui meut en n’étant pas mû”. L’idée d’Aristote s’enracine dans la pensée d’Anaxagore qui a dit que „l’Esprit est impassible et sans mélange puisque c’est lui dont il fait le principe de mouvement”. C’est l’immobile qui „pourrait mouvoir et sans mélange qu’il pourrait dominer”, ajoute Aristote dans ce même paragraphe.

[17] Ibid., 267 b 18-24

[18] Ibid., 258 b, 32-259 a, 1-7.

[19] Dans ce chapitre Aristote essaye de montrer à plusieurs reprises qu’on ne peut pas admettre l’existence de plusieurs Cieux ni de plusieurs mondes. La raison principale est que „d’une manière générale, une chose dont la substance est engagée dans quelque substrat pris comme matière ne peut jamais se produire en l’absence de toute matière”. Or, dans notre Monde dont les frontières sont désignées par la circonférence du Ciel la plus extérieure, se trouve la totalité de la matière (278 b, 1-4).

[20] Ibid., 259 b, 28.

[21] Ibid., 259 b, 32-260 a, 1

[22] Paulus J.: La théorie du Premier Moteur chez Aristote, in: „Revue de philosophie”, 33 (1933), p. 287.

[23] Du Ciel, traduit par J. Tricot, Vrin, Paris, 1990, 279 a, 20-21.

[24] Dans le traité Du Ciel, Aristote nous dit que le mouvement pris dans sa totalité est éternel, mais quant au mouvement particulier, c’est le mouvement dans le monde supralunaire. La conséquence est que ce monde est inengendré et incorruptible. Ces deux adjectifs s’accompagnent toujours nécessairement, et désignent un être qui existe depuis toujours et qui ne peut subir aucune destruction.

[25] Mét., Θ 8 1050 b, 23 -28.

[26] Du Ciel, op.cit., I 12, 282 a, 3-5.

[27] Ibid., II 6, 288 b, 1-7.

[28] Ibid., 279 a, 28-30; Mét., Λ 7, 1072 b, 14.

[29] Ibid., 279 a, 23-28.

[30] Mét., Λ 7, 1072 a 24-25.

[31] Voir: M.A. Krąpiec: Wprowadzenie do Metafizyki Arystotelesa, in: Arystoteles, Metafizyka, traduit par T. Żeleźnik, Lublin, 1996,

[32] Mét., Z 16, 1040 b 35-1041 a 3.

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